Animatrice de l’Axe 2 : Sociétés inclusives

Elara Bertho est chargée de recherches au CNRS, à LAM (Les Afriques dans le Monde, UMR 5115, Sciences Po Bordeaux). Ses travaux portent sur les relations entre littérature et histoire en Afrique de l’Ouest. Elle a publié notamment Sorcières, tyrans, héros (Honoré Champion, 2019), Histoire locale de Djiguiba Camara. L’œuvre d’un historien guinéen à l’époque coloniale (Brill, 2020). Elle dirige la collection « Lettres du sud » chez Karthala, et participe à des comités de rédaction de revues (Multitudes ; Cahiers de Littérature Orale ; Études Littéraires Africaines).


Portrait d’Elara Bertho en vidéo

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Parlez-nous de votre parcours

J’ai fait des études de littérature, à l’ENS de Lyon, sous la direction de Cécile Van den Avenne. Après l’agrégation de lettres modernes, j’ai effectué une thèse en littératures comparées avec Xavier Garnier à Paris 3 Sorbonne Nouvelle. J’ai travaillé sur trois figures de résistance à la colonisation, Samori Touré en Guinée, Nehanda au Zimbabwe et Sarraounia au Niger. Pour ces trois figures, je croisais des corpus édités, des romans ou des pièces de théâtre (d’auteurs comme Abdoulaye Mamani, Yvonne Vera par exemple), et des corpus non édités, des chansons, des récits que j’ai retrouvés dans des archives publiques ou des archives privées. Je suis désormais chercheuse au CNRS, en section 35 (philosophie et études de textes), et je continue de pratiquer cette méthode qui croise études en bibliothèque et pratique d’enquête sur le terrain pour retrouver des textes non édités.

Quelles sont les thématiques de cherche sur lesquelles vous travaillez ?

Actuellement, je travaille à une histoire intellectuelle de la Guinée lors de la Première République, de 1958 à 1984, sous le régime de Sékou Touré. Mon enquête porte sur deux volets : rassembler d’une part les textes et les récits de la politique culturelle du régime – pièces de théâtre jouées lors des festivals culturels, poésie d’État, etc. – et collecter d’autre part des archives privées qui documentent au quotidien les répressions. Ce régime a été à la fois un formidable vecteur d’espoir panafricain, indépendantiste, anti-impérialiste, mais qui s’est aussi bâti sur un encadrement très strict des populations, au prix d’importantes violences politiques. Raconter l’endroit et l’envers du décor ne peut se faire qu’en alliant des enquêtes parmi les textes édités et parmi ceux que l’on ne peut pas trouver en bibliothèques : il faut alors rechercher dans les familles, dans de petits fonds d’archives, dans des malles, des placards et des vieux cartons, ce que ces mémoires sont devenues.

Quelles sont les grandes questions qui animent votre recherche ?

Au sein de la MSH, je porte un programme de recherches sur le décolonial. Loin des controverses politiques contemporaines qui fustigent le « wokisme », nous cherchons, collectivement, à repartir des textes fondateurs du décolonial, issus pour la plupart d’Amérique du Sud – Walter Mignolo, Lélia Gonzalez, Maria Lugones… Ces textes théoriques sont difficiles, c’est pourquoi nous privilégions une approche collégiale de lecture des textes, la plus horizontale possible, en interrogeant ce qu’ils peuvent nous apporter dans nos propres travaux, en Afrique ou ailleurs, concrètement, dans nos pratiques de recherches (https://elam.hypotheses.org/).

Est-ce qu’il y a des questions ou des travaux que vous souhaiteriez nous présenter ?

Je voudrais présenter un petit texte pour le grand public paru l’an dernier : il s’agit d’une biographie de Senghor, parue aux PUF en 2023. La consigne était d’écrire sans aucune note de bas de page (ce qui est très décontenançant pour un chercheur !) et qu’il puisse être lu en trois heures. C’était très enthousiasmant d’écrire pour un public plus large, en tentant de rendre justice à tous les travaux des collègues en littérature, en sciences politiques, en histoire, qui renouvellent actuellement la recherche sur Senghor. Entre la France et le Sénégal, les mémoires sont très contrastées : il est considéré comme un grand poète de la francophonie, pacifiste, en France mais l’on méconnait son bilan politique en tant que premier président du Sénégal, à la tête d’un régime autoritaire et répressif. Au Sénégal, c’est l’inverse, il est assez unanimement détesté par la jeunesse qui voit en lui un francophile n’ayant jamais réellement décolonisé l’économie ni la diplomatie, mais ses textes sont en réalité peu lus et mal connus. C’était à une réconciliation de ces mémoires, ou du moins un dialogue entre elles, que j’ai essayé de m’atteler en écrivant ce petit objet.

Est-ce qu’il y a des questions qui restent pour vous des énigmes ?

Mon idée est de continuer à explorer les écritures pour le grand public. Il n’est pas facile d’écrire autrement et de prendre le temps d’expliquer nos méthodes de recherches, et les ponts avec la société. L’Institut des Afriques (https://institutdesafriques.org/) le fait magnifiquement à travers des rencontres, des festivals de cinéma, des performances. Fédérer ces efforts entre l’Idaf, nos laboratoires de recherches comme le LAM (les Afriques dans le monde) auquel j’appartiens, la MSH permettrait de mieux articuler la recherche en sciences sociales dans la cité.

Je réfléchis à un petit ouvrage grand public autour du couple militant Stokely Carmichael et Miriam Makeba (https://maitron.fr/spip.php?article252905&id_mot=9745).